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mercredi 4 mai 2016

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Skippers équipiers et équipages.

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Un peu avant de lâcher les amarres pour le départ de notre traversée de l »Atlantique, une équipe de la Télévision locale de Ténérife est venue nous interviewer : Une de leurs questions était : «Vous vous préparez depuis combien de temps ? » et je leur ai dit «  à peu près deux ans ». 

En effet il m’a fallu bien de réflexions, de recherches et de travail pour équiper mon bateau de sorte à ce que nous ne manquions de rien pour notre traversée et qu’elle puisse se passer en toute sécurité.

Et effectivement au moment de quitter le quai, la question « n’ai-je rien oublié » effleurait une dernière fois mes pensées … et pourtant, à présent que je suis arrivé, je me rends-compte que ce qui fait la réussite d’une traversée est moins les contingences matérielles que l’esprit qui règne à bord . Cependant, (peut-être parce que cet aspect est moins facile à gérer) nous y consacrons peu de temps de réflexion à le préparer et fort peu a été écrit sur le sujet ;  il reste toutefois que la gestion des équipiers est de la responsabilité du chef de bord et mérite qu’on s’y arrête quelque peu.
photo (c) Pauline Duceip


Conduire un bateau sur l’océan peut être une expérience éprouvante de confrontation à un milieu hostile, c’est aussi souvent une rencontre avec l’inéluctable et le fatalisme, on perd prise sur ce qui nous arrive, tout au plus peut-on apprendre à le gérer au mieux des possibilités. Sur le plan relationnel on est confronté à la présence de l’autre (les coéquipiers) et au devoir de gérer au mieux le relationnel avec eux.

Ceci est valable pour tout l ‘équipage et je dois dire que pour ma dernière transat l'ambiance à bord à été excellente durant la traversée.

Alors comment réussir une traversée avec deux équipières de 25-30 ans n’ayant aucune expérience en navigation hauturière ?

1. Proactivité.


Personnellement j’ai commencé par faire un inventaire de certains problèmes que les équipières pourraient rencontrer et qui pourrait amener à se répercuter sur la réussite d’une croisière. Il y en a d’autres, mais je me tiendrai ici aux trois les plus importants :

  • Le refus (inconscient) de la proximité de l’autre, qui souvent se traduit par « la crise du troisième jour ».
  • Le manque de confiance en soi.
  • Le manque de connaissances ou d’expériences de la navigation à voile.

Voyons cela plus en détail :

1. La crise du troisième jour.

En embarquant sur un bateau ; lieu fermé de proximité humaine, on essaie de protéger son intimité et de se protéger de situations conflictuelles ou embarrassante en tentant (du moins les premiers jours) de garder le plus de distance possible d’avec ses co-équipiers. Cette distanciation implique nécessairement une série de concessions : éviter de trop livrer de ses sentiments, éviter de dire à l’autre ce qui dans son comportement nous dérange etc. Au bout de trois ou quatre jours on s’apercoit que les efforts consentis pour garder la « distance » ne seront pas tenables sur la longueur. S’en suit alors parfois une explosion conflictuelle, grand déballage de tout ce qu’on a retenu en soi, et on en veut à l’autre que du fait de sa seule présence on aie été obligé à de tels efforts.

Pour éviter ce piège, le skipper pourra simplement expliquer le phénomène avant le départ et faire prendre conscience à l’équipage que la « proximité » est inévitable, mais aussi que c’est elle qui fait la richesse de l’expérience humaine unique qu’est une traversée. océanique. S’il a quelque expérience de ce climat, il tentera de son côté de « sauter les étapes » et de faire preuve , déjà même avant le départ d’une proximité plus grande que ce à quoi on pourrait s’attendre. Sans exagération toutefois. Il n’est pas demandé, dans tous ces conseils, de « jouer la comédie » mais d’essayer de sentir ses propres émotions et de ne pas retenir l’expression de sentiments.  C’est le moment de faire comprendre aux équipières que si elles réalisent leur rêve, elles me permettent aussi de réaliser le mien, et donc que « je suis content » de leur présence à bord.

2. Le manque de confiance en soi


Pour un équipage venant d’embarquer, aborder ainsi un bateau qu’on ne connaît pas et qui peut paraître  compliqué, un skipper inconnu d’une autre génération, une croisière hauturière de longue durée, génère  une série d’inquiétudes : « serais-je à la hauteur ? » Il est très important dès le début de lui montrer qu’il est capable de bien plus que ce qu’il ne s’imagine. J’ai l’habitude d’aller me coucher le premier jour dès la nuit tombée, les deux premiers quarts (les plus faciles) étant attribués à chacun des équipiers. Je leur signale toutefois qu’ils peuvent (et doivent) me réveiller au moindre incident, je reviendrai  sur ce point un peu plus loin.

Souvent, les équipiers vont tenter de se rassurer en tentant de faire le quart à deux, il est nécessaire d’éviter cela en expliquant clairement, que pour la sécurité du bateau il est important que chacun profite de chaque moment de repos pour dormir, car c’est lorsqu'un équipage est épuisé qu’arrivent les accidents. L’équipier se retrouvera donc, dès le début, seul à barrer le bateau et à devoir en assumer toute la responsabilité  …  mais il doit savoir qu’il peut m’appeler au moindre incident. Pour l’y encourager, je me « réveille » régulièrement vient dans le cockpit pour demander  si tout est en ordre. Si je perçois une appréhension quelconque je resterai un peu pour lui tenir compagnie en conversant sur des sujets divers me permettant en même temps de mieux faire connaissance. Une fois la « tension » diminuée je vais me recoucher, en n’oubliant pas de lui rappeler qu’il faut m’appeler au moindre incident.

3. Manque de connaissance de la voile.


Personnellement j’évite d’embarquer des équipiers ayant une connaissance « moyenne » de la voile, autrement dit je sélectionnerai soit des débutants (ou quasi débutants) soit des équipiers vraiment confirmés et (surtout) expérimentés. Ceux qui sont entre-les-deux me posent problème, particulièrement ceux qui ont effectués des stages en école de voile sans aucune autre expérience… ceux là je les évite le plus possible car je ne veux pas passer ma croisière à discuter si un bout doit se lover dans le sens des aiguilles d’une montre ou pas. En général mes équipiers sont donc du type « ne-connait-pas-grand-beaucoup-mais-veut-apprendre et je m ‘en trouve très bien.

La première chose à leur apprendre est que si on ne cherche pas à optimiser tout au maximum, la traversée océanique est une chose extrêmement simple. A la limite en ne faisant absolument rien, on finira aussi à traverser l’Atlantique. La meilleure façon de montrer que c’est simple est de ne pas se lancer dans des grandes explications de détail. Avant le départ, mon « cours de voile » est extrèmement succint et se résume à expliquer comment voir si un autre bateau a une route de rencontre avec nous, ce que j’explique au cours d’une promenade à pied (milieu connu) en regardant les palmiers du port et tentant de comprendre pourquoi on ne les cogne pas et si on va passer à droite ou à gauche de ceux-ci. L’autre cours portera sur la manœuvre de l’homme à la mer. C’est pratiquement tout. Le reste s’apprendra sur le tas  par imitation le plus souvent. Autrement dit je combat l’appréhension de ne pas en savoir assez par « il n’y a pas grand-chose à savoir »


2. Conseils aux futurs équipiers .


Arrivé  aux Canaries, nombreux sont les bateau stoppeurs qui viennent frapper à notre coque pour obtenie un passage. On ne peut qu’être étonné par la façon inadéquate dont ils se présentent  et présentent leur projet. Tout ce qu’y est écrit plus haut pour le skipper, implique une empathie ou une compréhension des problèmes de l’équipier, de la même façon l’équiper devrait comprendre les motivations des propiétaires. 

Accepter à son bord des personnes étrangères est pour un skipper une concession qu’il fait à son intimité. Apprendre à d’autres à faire de la voile, leur permettre de naviguer à son bord, leur faire vivre une aventure unique, les accepter dans son intimité sont à ses yeux des actes de générosité. Dans le « marché » échange traversée contre travail il se sentirait perdant ; mais pense compenser cette « perte » du fait de sa gentilesse, d’une sympathie pour les équipiers, ou simplement de sa générosité. Ce qu’il espère c’est de recevoir en retour la même gentillesse, sympathie, considération, amitié et qu’au moins l’équipier soit conscient de ce qui lui est offert. 

Assez curieusement, autant la joie au moment d’apprendre avoir été accepté comme équipier, ne leur laisse aucun doute sur « le cadeau » qu’on leur a fait, autant les difficultés et les efforts subis durant une traversée pourraient leur faire vite oublier cela et avoir  de plus en plus l’impression d'avoir perdu  au change et donc « de ne rien devoir à personne ». Pourtant les difficultés, les efforts, les frustrations, voire le mal de mer ne peuvent être imputé au skipper du bateau, mais plutôt à la méconnaissance des équipiers de ce qu‘est réellement une traversée océanique. Ce manque de reconnaissance de la part des équipiers est très mal vécu par de nombreux skippers que j'ai pu rencontrer : « Au moins ils pourraint nous dire au revoir ou merci »  Ce qui n’est, hélas, pas toujours le cas. Donc mon conseil ayez de l’empathie pour celui ou ceux qui vous accueille à leur bord, traduisez celle-ci par de l’amitié, de la sympathie ou au minimum du respect de leur générosité. (je sais, que quand on est jeune c ‘est une chose difficile à accepter).

Je vous invite à lire l’excellent article Catching a Ride Across the Atlantic () et de consulter
le blog Vogavecmoi



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